Penseur anonyme


  Les quelques pages écrites ici n’ont pas la prétention d’avoir une valeur empirique, historique, scientifique, journalistique ou tout autre terme pouvant faire autorité. Il s’agit seulement d’une opinion anonyme et non-exhaustive, illustrer par un corpus d’œuvres hétéroclites, du témoignage venant d’un individu « lambda » et de son approche vis à vis de l’art et de l’engagement. Je donnerai donc mon avis, aussi synthétique qu’il puisse paraître et sans doute très léger pour les intellectuels de l’art, les puristes et les critiques tranchants. Il n’en reste pas moins que l’art et l’engagement sont des notions qui touchent chacun de nous, car faisant appel à nos émotions, nos idéologies et à nos principes de fonctionnement, elles peuvent susciter de vives réactions, même chez de simples amateurs. Mon seul but étant de contenter les modestes lecteurs comme moi, ainsi que ceux qui apprécient la vulgarisation, qui savent écouter et donner leur opinion. Enfin à tous ceux qui se posent des questions, qu’elles paraissent idiotes ou non. 

 

  Pour illustrer au mieux mon propos j’aimerai vous parler essentiellement de peinture et de quelques autres œuvres qui touchent a la sculpture et à l’audiovisuel. J’ai choisi ces domaines pour la simple et bonne raison qu’ils permettent d’exciter l’attention d’un simple coup d’œil. En effet j’aurais pu choisir des exemples issus de la littérature, du cinéma, de la musique… Mais je n’ai aucune envie de m’engluer dans des références, des annotations, des mots, des phrases, des regards, des sons et des notes qui nécessitent une pleine connaissance du contexte dans lequel ils s’articulent, dans ma démarche de rendre ces quelques pages accessibles à tous, je préfère éviter d’égarer les lecteurs dans ces fastidieuses recherches, qui n’en sont pas moins intéressantes, mais sans doute pas très amusantes. Je vais donc vous présenter une vingtaine d’œuvres du XXème siècle plus ou moins engagées, qui pourront peut être vous donner l’envie de plus amples recherches. 

 

  Pourquoi avoir choisi le XXème siècle ? Premièrement, parce que cela m’intéresse particulièrement du fait d’une certaine proximité contextuelle et temporelle, et ensuite pour pouvoir faire découvrir des artistes originaux qui se détachent des enseignements classiques. 

 

  L’engagement recouvre plusieurs définitions, je pense qu’il se traduit d’abord par l’usage d’actes en vue d’un accomplissement, c’est à dire qu’il ne peut pas être absurde, ou naissant du hasard ; l’engagement s’inscrit dans la relation logique : cause, conséquence et but. Il est mis en mouvement par une cause, il est régis par un but, dans l’espoir d’avoir une incidence vis à vis d’un contexte. D’autre part, l’engagement est pour moi un combat, une action militante qu’une résulte d’une prise de position, c’est un parti prit qui doit défendre, dénoncer un fait établie, ou encore soutenir une position controversée. 

 

  Je crois qu’il existe un rapport particulier entre l’Art et l’engagement car toute œuvre, est à priori engagée ; pas toujours d’un point de vue « militant » mais par son caractère lyrique. Lorsque l’artiste respecte un cahier des charges scrupuleux et prédéfini par quelqu’un d’autre que lui, il devient technicien et perd son caractère d’artiste, il est alors l’outil mettant en œuvre une volonté et il donne à son art un aspect passif. Par ailleurs, si l’œuvre suit la ligne directive de l’expression, par la pure invention des mécanismes de la pensée et de la construction imaginaire, l’artiste s’engage corps et âme à la production d’un résultat, qu’il soit purement expressif, divertissant, beau ou militant ; et de ce fait il s’agit d’un engagement, d’une vocation. 

 

  Cependant la différence entre l’art qui naît de l’engagement personnel de l’artiste et l’art à proprement dit « engagé » vient, je pense, de la focalisation de l’artiste, c’est à dire que l’Art engagé se concentre sur une interprétation de fond qui prévaut sur la forme. Grâce à cela l’artiste détourne l’effet de contemplation causé par le « beau » ou l’introspection due à l’abstrait pour accéder à une réflexion militante. Par exemple, dans les arts picturaux, les codes et l’art du « beau » me rendent personnellement béa, je trouve qu’il se suffisent à eux mêmes. La soif de divertissement du spectateur et son appétit de réflexion sont assouvis par la question du « comment? » ; « Par quels procédés l’artiste peut donner à l’œuvre l’unique but d’être harmonieuse ? ». 

 

  En ce qui concerne l’Art engagé on note la présence de détails qui déconstruisent l’harmonie, jusqu’à la détruire parfois, pour faire naître chez le spectateur un sentiment de désordre, d’inconfort, d’irrégularité, de surprise, d’enthousiasme, de malaise ou tous autres émotions faisant germer en nous le questionnement du « Pourquoi ? » ; Pourquoi le peintre cherche à désaccorder nos sens ou nos idées, quel est son but ? » 

 

  Par ce procédé, l’artiste dépeint une œuvre à deux niveaux : d’abord un aspect esthétique, par la colorisation et la technique. Mais d’autre part, on sent l’ambition qu’à l’artiste de détacher son public de ses considérations, en incluant, par des détails ou des précisions saillantes, des traces qui montrent un degré plus élevé d’engagement pour une cause précise. 

 

  En somme, il semble que l’artiste véritablement engagé focalise ses forces dans le but de courber l’identité du Monde, vers une cause, par le biais de questionnements et d’émotions. Et quels que soient les procédés employés, subtils ou frappants, la recherche de l’artiste engagé est d’impliquer les individus. 

  Avant de commencer la présentation de quelques œuvres je voudrais donner mon avis et ainsi répondre à une question qui me paraît intéressante. 

 

L’Art abstrait peut il être engagé ? 

  Je trouve cette question assez paradoxale ; l’Art abstrait étant un mouvement qui ne s’incruste dans aucune réalité physique, ou temporelle, on pourrait d’ambler penser qu’il ne peut pas être engagé. Mais je crois que si on place l’Art abstrait dans « l’Art au service de l’Art », soit l’Art qui s’engage à faire évoluer l’Art, on peut penser qu’il en devient engagé. 

  Il me semble que l’Art abstrait, qu’on y soit sensible ou non, à permis à l’Art, dans sa globalité, d’éclater ses normes, par ce biais il a contribué à faire naître de nouveaux moyens d’expression qui étaient jusqu’à lors méprisés ou ignorés. En ce sens, je crois que les précurseurs de l’abstraction ont eu une démarche profondément engagée. 

   

  L’engagement pour le renouveau artistique 

  Par exemple, le peintre Kasimir Malévitch, un des précurseurs de l’art abstrait et le peintre du premier monochrome de l’histoire de l’Art, a permis avec son mouvement du « Suprematisme »

  et ses écrits à se sujet, d’entrevoir l’Art différemment. On voit dans l’œuvre une volonté nouvelle de représentation, qui a pour but d’éveiller en nous le sentiment d’infini, une remise en question de notre espace. A l’heure actuelle cela peut paraître anodin mais au tout début du Xxème, cette vision de l’Art était inédite. Je veux souligner le fait que cette démarche à sans doute permis à d’autres artistes de s’exprimer. 

 

  Kasimir Malévitch, « Suprématisme dynamique », 1915

   

   

   

  Kurt Schwitters, « Schokolade », 1947

   

   

  Kurt Schwitters fait partie des premiers artistes à utiliser des déchets dans ses sculptures et des emballages industriels pour ses peintures, on ne peut pas parler d’une action vraisemblablement militante ou engagé mais ces démarches doivent être encore une fois annonciatrices de nouvelles formes d’Art et d’approches artistiques. 

  Dans la même démarche de « renouveau » artistique, un peintre comme Gustav Klimt a repoussé les barrières dans le domaine de l’Art. En effet, on voit dans cette œuvre plusieurs éléments qui on scandalisé la critique et le pouvoir ; l’incrustation d’un prisonnier sur un fond chimérique, sans doute pour représenter ses pulsions, entourée de femmes nues au regards suaves, et cela pour représenter la justice. 

  On a d’abord un engagement qui bouscule l’art en lui même, ainsi qu’un engagement politique qui veut décrédibiliser la superficialité des systèmes judiciaires. 

 

Gustav Klimt, « l a Jurisprudence », 1901

   

   

   

   

  L’engagement politique ; l’Art de montrer la guerre et ses vestiges 

  George Grosz, un membre prolifique du mouvement dada dépeint ici une atmosphère désarticulée, rougeâtre et morbide, la société y est décrite par la corruption, la prostitution et le climat nauséabond de la guerre. Une vision de chaos. 

 

Georges Grosz, « Suicide » 1916

   

   

  Otto Dix , «Der Krieg », 1924

   

   

   

   

  Dans la même lignée que Goerge Grosz, le peintre Otto Dix a eu la volonté de montrer la guerre, sa réalité sur le terrain mais aussi l’après guerre. Le triptyque « Der Krieg » montre la vision brumeuse qui précède le combat, la vision apocalyptique du combat qui est mis en parallèle avec déshumanisé qui gît dans un charnier essayant de reconstituer les restes de ses compatriotes. La réalisation « Die Skatspieler » livre une critique acerbe de la Guerre en évoquant l’aspect traumatique qu’elle engendre et encore une fois la déshumanisation des soldats mutilés qui se révèlent être en fin de compte des pantins. 

 

Otto Dix, « Die Skatspieler » 1920

   

   

  J’énoncerai un lieu commun en incluant l’œuvre « Guernica » de Picasso, mais je pense qu’il est essentiel de l’inclure dans toute réflexion sur l’Art et l’Engagement car c’est une œuvre qui définit parfaitement ces notions. Je conseille à tout ceux qui me liront de s’intéresser à cette œuvre si complexe que profonde. 

 

Pablo Picasso, « Guernica », 1937

   

   

   

   

Roy Lichtenstein, « Whaam ! », 1963

   

   

  « Whaam ! » est une œuvre qui a été très controversée ; L’artiste Lichtenstein a repris quasiment à l’identique une planche présente dans le comics The star Jockey (1962). Cependant on peut se demander si cela n’a pas été justement voulu et assumé. On a une représentation de la guerre qui a été illustrée, à l’époque, avec une colorisation « pop », des traits vifs et cartoonesques. On a une version si édulcorée qu’on peut se demander jusqu’à quel point il est possible d’admettre une vision parodique, et si celle-ci ne constitue pas un danger pour les générations futures. Deux visions sont alors possibles ; soit l’œuvre fait part d’un hommage, soit au contraire on a une critique de la forme de propagande qu’elle constitue. 

 

Planche originale : The Star Jockey, 1962 

   

Jorg Immendorf, « Cafe Deutschland I », 1978

   

   

  L’artiste symbolise ici une Allemagne fragmentée par le mur de Berlin. On voit que l’œuvre est divisée en deux parties distinctes sans pour autant que l’harmonie des couleurs et la ressemblance des personnages soit brisée. De plus, sur les cotés, on a deux structures massives qui se distinguent par leur couleur mais pas par leur construction, ces lignes guident le regard vers le haut du tableau ou deux autorités sont mises en valeur, et la présence du personnage au centre de l’œuvre montre un mur affaibli par la main humaine qui n’est pas fermée mais tendue, la volonté de l’artiste semble profondément humaine, comme l’utopie d’un rideau de fer détruit et d’une unification du peuple allemand. 

   

   

  Un Engagement qui choque ; la remise en question de l’Homme 

 

Peter Howson, « Croatian and Muslim », 1993

   

   

  « Croatian and Muslim », une œuvre très controversée qui semble traiter des exactions commises lors de la guerre de Bosnie. On a ici une vision effroyable et sans voile d’un viol. Peter Howson dévoile l’aspect traumatique que subissent les victimes de viol ; on le voit notamment dans le regard de la personne violée, et bien que l’œuvre ne soit pas réaliste, elle permet aux spectateurs d’imprimer une image mentale du viol ; par les couleurs ternes, les membres désarticulés, on a toute la sensation de la violence glaciale et pulsionnelle de l’acte. 

 

Peter Howson, « The night that’s never ends », 1995 

  Ici encore une fois Peter Howson peint ce qu’on pourrait appelé la folie de l’Homme. On voit le vide des regards, on sent toute la propension qu’à l’Homme à sombrer et à se laisser submerger par ses traumatismes, à en devenir la marionnette. La présence d’un élément religieux au bout du couloir ou du « tunnel » est lourd de signification ; on peut y voir la mort comme seul refuge ou la religion comme seule espoir. Peter Howson joue de l’énigmatique et du marquant pour faire naître des émotions et des interprétations, on a d’évidence un très grand engagement de l’artiste. 

   

   

  Eric Fischl, « Pizza eater », 1982

   

   

  L’oeuvre d’Eric Fischl s’articule dans la mise en valeur d’images troublantes qui touchent aux tabous, aux malaises ou au dérives de la société. Ici, une enfant nue est représentée, ce qui aurait seulement pu être un souvenir d’enfance innocent ou seulement une scène naturelle devient dérangeant par la présence des deux jeunes hommes en fond, à gauche. L’artiste critique en fait les penchants embarrassants d’une jeunesse trop débridée qui se noie dans le voyeurisme. Cette représentation est poignante par l’absence de regard franc, on a juste la sensation que quelqu’un nous observe. 

  Cette deuxième œuvre sculpturale du même artiste montre la posture d’une femme figée lorsqu’elle percute le sol. Une année après le 11 Septembre, Eric Fischl réalise cette statue en hommage aux personnes qui se sont spontanément jetées du haut du World Trade Center pour ne pas mourir brûlées vives. La signification de l’œuvre en est bouleversante, à la fois une ode au courage et à la vulnérabilité humaine. 

 

Eric Fischl, « Tumbling woman » 2002

   

   

   

   

  Bill Viola, « Triptyque de Nantes », 1992

   

   

  Ce triptyque audiovisuel illustre simultanément l’euphorie qu’évoque la naissance, l’existence figée et la solitude dans la mort. Cette œuvre souligne la brièveté du passage de l’Homme sur Terre, aussi l’aspect universel et brutal de la naissance qui se conclu irréversiblement par l’extinction. Les images sont brusques et livrent la réalité telle qu’elle est. Bill Viola nous pousse à nous remettre en question, à nous retrancher dans notre qualité de simples humains. 

  L’engagement qui vise à soutenir une cause

 

Laura Knight, « Ruby Loftus screwing a breech ring », 1943

   

   

  La toile réalisée au milieu de la seconde guerre mondiale représente une femme nommée Ruby Loftus « vissant un manchon de culasse ». Laura Knight montre l’importance des femmes durant la seconde guerre mondiale en Angleterre ; à l’époque cette démarche est réellement engagée et donne ainsi une vraie matière à la lutte féministe. Il s’agit d’un message lancé au Monde. 

   

   

  Barbara Kruger, « Your body is a Battleground » 

   

  Barbara Kruger est une artiste fondamentalement engagée, dans la technique qu’elle utilise : photomontage d’affiches issues de la société de consommation, slogans rouges vifs et fonds noirs et blancs. La matière de son œuvre est, avant même d’être réalisée, dors et déjà contestataire. Cette œuvre a vu le jour a l’occasion de la « Women’s March » à Washington, manifestation déclenchée après la remise en cause du droit d’avortement. Dans cette œuvre un parallèle est fait entre la Femme qu’attend la société et ses stéréotypes et la Femme dans son essence, c’est à dire ayant des droits égaux aux hommes. On a ici un crie de solidarité adressé à toutes les femmes qui vise à prévenir des déviances de la société (notamment religieuses) qui définissent parfois la Femme comme simple objet de procréation. On a aussi un appel à la lutte, enjolivé par la comparaison du corps qui est décrit comme « un champ de bataille », cette métaphore montre bien l’influence puante des dogmes archaïques qui privent la Femme de sa liberté de choix. Dans cette seconde affiche, les même procédés techniques sont utilisés mais le message reste différent. Le slogan remet en cause la position dominante d’une éducation machiste inculquée dés le plus jeune âge. L’artiste fournit une vive critique des systèmes d’éducation qui reste encore teintées d’une vision stéréotypée de la Femme. 

 

Barbara Kruger, « We don’t need another hero » 1886

   

   

   

  L’œuvre de Judy Chicago est une installation comprenant 39 places caractérisant, pour chacune d’elle, un personnage féminin, allant de la mythologie au féminisme contemporain. Cette œuvre est emblématique de l’engagement artistique dans la lutte pour l’égalité des sexes. 

 

Judy Chicago, « The dinner party » 1979

   

   

  Ma modeste présentation s’achève ici, j’espère qu’elle aura éveillé chez vous l’envie d’aller plus loin dans ces questionnements, qu’elle vous aura donné la vision précise que j’ai de l’Art et l’engagement. J’aimerai conclure en disant que l’Art est le meilleure moyen de faire passée une idée, car apprécier l’Art induit un raisonnement profond et nuancé qui constitue un rempart à l’extrémisme. 

  « Une œuvre n’est pas quelque chose de beau à regarder, sa valeur c’est d’être une école de pensée. 

 

  L’important est l’image mentale qu’elle imprime. » Claes Oldenburg