Le théâtre au cours du temps


 

Introduction

 

Alors que l'on célèbre cette année le cinquantième anniversaire de 1968, nous nous proposons d'interroger les représentations dont cette période demeure l'objet et de revenir sur son héritage au sein des pratiques théâtrales contemporaines. Cet article a été écrit à partir de recherches historiques sur le théâtre et cette période ainsi que d’un entretien avec la petite-fille du président d’une association d’amis du théâtre populaire à Lille. Il se concentre également sur la localité de Villeurbanne. Il traite ainsi de l’après-guerre, de mai 68 et d’aujourd’hui.

I) Le théâtre d’après guerre

 

La décentralisation théâtrale aurait commencé dans les années 1947, au tournant de la guerre. Il y avait un contexte d’après guerre mais aussi un contexte culturel qui avait subi la guerre. C’est dans ce contexte là que Jean Vilar a impulsé un mouvement à la fois de création des théâtres mais aussi du festival d’Avignon. C’est autour de Jean Vilar que s’est créé  le mouvement des amis du théâtre populaire.

Le premier TNP était à Chayot, dirigé par Vilar. Sa création datait de 1920, mais c’est quand Vilar en a prit la direction qu’est né ce mouvement des amis du théâtre populaire. Plusieurs associations ont été créées en France. Leurs membres étaient majoritairement des personnes du milieu de l’enseignement ou des intellectuels. Un des objectifs était que le théâtre se fasse ailleurs que dans un équipement matérialisé et institutionnalisé. Il y avait une volonté de contacts avec les ouvriers, de donner accès à la culture à des personnes plus modestes.

   

En 1966 apparaît l’ATAC, l’Association Technique pour l’Action Culturelle, mise en place par le ministère des Affaires culturelles. Elle rassemblait les acteurs de l’action culturelle ainsi que les directeurs de centres dramatiques, troupes permanentes et maisons de la culture, et était chapeautée par l’État. Voulue comme un lieu de concertation et d’échanges d’informations, l’ATAC devait permettre l’organisation de tournées ainsi que la formation des futurs animateurs de la décentralisation.

II) Mai 68

 

    L'année 1968 a été une étape décisive, en France, de l'histoire conjointe du théâtre public et des politiques culturelles.

En 1968 le secteur théâtral est vivement critiqué par les mouvements militants pour qui le théâtre  “n’assume plus son rôle émancipateur” (Glas, Marjorie : 2013, p4) et par les personnels des établissements culturels. On reproche à l’ATAC son attachement à l’État. Se révèle également l’opposition entre création et action culturelle. On critique la politique culturelle de Malraux (ministre de la culture 1962-1969), son prophétisme de l’art et son refus de médiation entre le public et l’œuvre d’art.

 

A partir du 21 mai, à Villeurbanne, prend place durant trois semaines une réunion à huit clos d’une quarantaine de directeurs de maisons de la culture, centres dramatiques nationaux ou autres scènes nationales, à l’instigation de Roger Planchon (directeur de théâtre). La Déclaration de Villeurbanne est proposée au comité le 25 mai, et répond aux attaques des militants syndicaux et étudiants à l’endroit de la décentralisation dramatique. On souhaite un théâtre détaché de l’État, plus critique envers lui, et également contrer l’idéologie de la démocratisation.

 

Roger Planchon et Francis Jeanson (directeur de la maison de la culture de Châlon) étaient tous deux signataires de la Déclaration de Villeurbanne. Ils ne s’entendaient cependant pas sur les objectifs recherchés, et révèlent le clivage entre animateurs et créateurs qui surgit en 1967. Certains, comme Planchon, souhaitaient plutôt un laboratoire de recherches de nouvelles formes esthétiques, lorsque d’autres comme Jeanson privilégiaient la rencontre avec le public. Pour Francis Jeanson, la problématique principale de la réunion était le public limité du théâtre. La solution serait de montrer au non-public la création en train de se faire. Jeanson définit la notion de non-public.

Le terme apparaît dans les débats de politique culturelle à la fin des années 1960, avec une première trace écrite dans la Déclaration de Villeurbanne. En 1972, Jeanson distingue trois publics : la clientèle, le public potentiel (public placé dans les conditions objectives d’accès à la culture) et le non-public (public qui n’est pas placé dans ces conditions d’accès, regroupant les « mystifiés » occupés à d’autres consommations, et des groupes « refusant l’intégration à la société », notamment « les jeunes »).

 

Cependant pour certains 68 marquerait la fin des utopies du théâtre populaire. Au contraire des idées de Jean Vilar, 68 serait à l’origine des abandons des grands principes qui ont défini le théâtre populaire : les relations avec le public, la conception des activités théâtrales autour de la troupe permanente, la polyvalence des comédiens, la pauvreté des décors, la simplicité des costumes. La Déclaration a remit en question la dimension qu’apportait le théâtre national populaire.

III) L’après 68 à nos jours

En 1971 est mit en place le SYNDEAC, Le Syndicat national des directeurs d’entreprises d’action culturelle. Il s’agit du premier syndicat des employeurs du spectacle, en réponse aux revendications de mai 68. « Il s’agit notamment d’affranchir symboliquement le champ théâtral de la tutelle de l’État, à travers l’affirmation, par les directeurs, de leur posture d’artiste » (Glas, Marjorie : 2013, p5).

De mai 68 étaient ressorties deux nécessités auxquelles répond le SYNDEAC :

  •     « le besoin de se grouper en dehors de la tutelle de l’État     et d’affirmer un objectif d’indépendance et de défense des intérêts du secteur face à la menace d’une diminution des subventions”

  •     « répondre aux revendications des syndicats de salariés – essentiellement représentés par la Fédération nationale du spectacle CGT – formulées à la suite des grèves de 1968, en particulier sur les conditions de travail » (Loyer,     Emmanuelle : 2008, p5)

Le SYNDEAC joue un rôle notamment dans la gestion et le paiement des droits d’auteur.

 

« Les équipes d’animateurs des années 1970 vont donc se retrouver dans les idées de Jeanson, partiellement héritées de Mai 68 : rejet de la culture « cultivée » comme culture dominante et normative, volonté de donner la parole à ceux qui en sont exclus, processus d’expression des groupes comme formateur d’identité plus que dans la finalité même du travail, le produit fini ne pouvant être jugé ici selon de simples critères esthétiques. » (Loyer, Emmanuelle : 2008, p7)

 

Deux problématiques principales ressortent du théâtre d’aujourd’hui : l’aspect financier des potentiels spectateurs du théâtre, ainsi que la communication avec un public non averti.

A Villeurbanne, le directeur du TNP reviendrait aujourd’hui aux idées de Jean Vilar, à l’exception de la simplicité des décors. On assiste également à une diversité de la scène avec une pluralité d’équipements théâtraux.

Conclusion

    En conclusion, les problématiques autour du théâtre se sont transformées au cours du temps. Le rapport avec le public a toujours été un point central de celles-ci, malgré une ambivalence des positions. Une séparation avec l’Etat est souhaitée depuis les années 1947 avant d’être appropriée dans les années 68. Aujourd’hui, la diversité est plus grande mais de nombreuses personnes n’ont toujours pas accès au théâtre, pour des raisons budgétaires et de communication.

Bibliographie

Denizo, Marion, “1968, 1998, 2008 : le théâtre et ses fractures générationnelles”, Sens public, 2009. URL: http://www.sens-public.org/article637.html

 

Entretien anonyme avec la petite fille du président d’une association des amis du théâtre populaire, effectué lors d’une enquête sur mai 68 à Villeurbanne.

 

Glas, Marjorie. « Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC), miroir et moteur des transformations de l'univers théâtral », Le Mouvement Social, vol. 243, no. 2, 2013, pp. 67-77.

 

Jeanson, Francis. « La décentralisation théâtrale », dir Abirached Robert, Actes Sud – Papiers, 2005

 

Loyer, Emmanuelle. « 1968, l'an I du tout culturel ? », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 98, no. 2, 2008, pp. 101-111.

 

« Au-delà du public : « non-public » et publics potentiels »